« Cette épreuve n’est pas conçue pour faire échouer les élèves », insiste Jean-Michel Blanquer

Ce sera l’une des principales innovations du nouveau bac : le grand oral verra le jour en 2021. Une épreuve qui portera sur un enseignement de spécialité choisi par l’élève en terminale et qui testera sa capacité d’argumentation autant que sa force de conviction. Pour 20 minutes, le ministre de l’Education,
Jean-Michel Blanquer, détaille les contours de cette nouvelle épreuve, qui feront l’objet d’un Bulletin officiel publié ce jeudi. L’occasion aussi, pour lui, de revenir sur les perturbations des premières épreuves de contrôle continu (E3C) du nouveau bac.

Comment se déroulera le grand oral ?

Il durera 20 minutes, avec 20 minutes de préparation pour l’élève. Il portera sur un enseignement de spécialité que l’élève a choisi en classe de terminale. Il se découpera en trois parties : 5 minutes d’argumentation sans note sur une question que l’élève aura préparée pendant l’année avec ses professeurs. Puis 10 minutes de discussion avec le jury, ce qui permettra au candidat d’approfondir sa pensée et de démontrer sa capacité à argumenter. Et pour finir, 5 minutes où le jeune va expliquer en quoi la question choisie éclaire son projet de poursuite d’étude.

Ne craignez-vous un risque de bachotage, puisque le candidat sera interrogé sur une question qu’il aura préparée pendant l’année ?

Certains élèves pourront avoir la tentation d’apprendre par cœur la réponse à la question qui leur sera posée lors de la première partie de l’oral. Et la forme aura de l’importance, car l’élève devra démontrer sa capacité à prendre la parole en public, qui est une compétence fondamentale dans la vie. Mais qui n’est pas un point fort des élèves français aujourd’hui. Reste que cet exposé de 5 minutes ne représentera qu’un quart de l’épreuve. Le reste reposera sur un travail de réflexion de l’élève, où seront évalués son esprit critique et sa manière de relier ses différents savoirs.

Pouvez-vous donner un exemple de sujet ?

Un élève qui aurait choisi histoire-géo et économie, et qui aurait travaillé sur les inégalités et l’histoire de l’alphabétisation des femmes, pourrait répondre à une question telle que : « pourquoi est-il important d’augmenter la dépense mondiale en éducation pour mieux réaliser l’égalité entre les femmes et les hommes ? ». C’est un bon exemple de problématisation, à cheval sur deux disciplines.

Pourquoi les candidats devront-ils être debout pour passer la première partie de ce grand oral ?

Dans l’oral, il y a un enjeu corporel, de présentation de soi. Or, certains jeunes ont du mal à maîtriser leur posture. C’est l’occasion de leur apprendre cette manière de se poser. C’est une épreuve complète : l’éducation physique est aussi concernée par le grand oral, de même que la pratique du théâtre ou du chant.

Cet oral sera coefficient 10. Cela ne risque-t-il pas de pénaliser les élèves qui ne le réussiront pas ?

Cette épreuve n’est pas conçue pour faire échouer les élèves. Les deux derniers mois (mai et juin) seront particulièrement mis à profit pour s’y préparer. Par ailleurs, affecter un gros coefficient à cette épreuve, c’est envoyer un message à tout le système scolaire sur l’importance de la prise de parole en public. Et ce, afin que l’on puisse travailler sur la confiance en soi de l’école primaire jusqu’au lycée. C’est pour cela que j’insiste autant sur le chant, la musique, la lecture à voix haute, l’éducation physique et sportive, le théâtre. Tous ces domaines désinhibent les enfants. Ce grand oral est un moment de retour sur soi.

Ne craignez-vous pas que cette épreuve soit discriminante socialement ?

Ce grand oral ne sera pas discriminant socialement. Il permet justement de compenser les inégalités entre élèves en préparant tout le monde à la réussite de l’examen. Car on peut être issu d’un milieu très défavorisé et être très à l’aise à l’oral, ou être issu d’une famille favorisée et être très timide. Et préparer les élèves à cette épreuve est une manière de les aider à acquérir des compétences orales qui leur seront utiles lors de leurs études et de leur vie professionnelle. Ce grand oral est aussi un enjeu de société, car il valorise notre capacité à argumenter, à nous écouter, à aimer un point de vue différent du nôtre…

Mais un élève d’un lycée de REP bénéficiera-t-il de la même qualité de préparation qu’un élève de lycée élitiste ? N’y a-t-il pas un risque d’inégalité sur ce point ?

Je ne crois pas du tout. Je dirais même le contraire, car dans les lycées défavorisés, les enseignants font preuve d’une grande énergie pour amener leurs élèves à progresser. Dans de nombreux territoires défavorisés, les concours d’éloquence fonctionnent très bien. Par ailleurs, nous avons lancé une expérimentation sur l’éloquence dans 300 collèges cette année : les élèves bénéficient dans ce cadre d’une demi-heure d’entraînement à l’oral par semaine.

Qui composera le jury du grand oral ?

Deux enseignants de disciplines différentes, dont au moins un dans l’une des spécialités de l’élève. Ils seront extérieurs au lycée, ce qui permettra une réelle objectivité de leur évaluation.

Parler du projet d’orientation du candidat lors de cet oral, n’est-ce pas un peu hors sujet ?

Non, car il s’agit de relier les enseignements de spécialité à ses choix d’orientation.

Autre sujet, les E3C. Elles ont été perturbées dans plusieurs établissements. Quelle est la proportion d’élèves ayant au final passé les épreuves ?

Dans beaucoup d’académies, tout s’est bien passé. Selon notre dernier bilan, 15 % des E3C ont été perturbées et 5 % ont été reportées. Une partie de ces troubles a été occasionnée par des personnes militantes internes ou externes de l’Education nationale, ce qui est inacceptable. Aujourd’hui, 88 % des candidats de 1re ont passé leurs épreuves. Les 12 % restants se trouvent principalement dans les académies qui ne sont pas encore en vacances et dont les épreuves sont prévues dans les prochains jours, ou ceux dont les épreuves ont été reportées. Ces reports sont très concentrés géographiquement notamment dans les académies d’Ile-de-France et dans celle d’Aix-Marseille.

Quelle garantie avez-vous que les sessions d’E3C qui auront lieu au retour des vacances d’hiver ne soient pas à nouveau perturbées ?

Quelques dizaines d’établissements sont concernées par ces reports. On fera ce qu’il faut pour que ces épreuves se passent normalement, quitte à les délocaliser. Chacun comprend bien que c’est dans l’intérêt des élèves de composer. Les choses doivent rentrer dans l’ordre.

Plusieurs syndicats ont dénoncé une rupture d’égalité entre les élèves, compte tenu des conditions de passation très diverses des E3C. Que leur répondez-vous ?

Qu’avec les E3C, on a objectivé davantage le contrôle continu. Car les sujets sont choisis dans une banque de données nationale, le protocole de correction est plus normé, les élèves ne sont pas corrigés par leurs profs et ils peuvent consulter leurs copies une fois corrigées.

Les élèves qui ne se sont pas présentés aux épreuves vont-ils vraiment écoper d’un 0/20 ?

Le but est de faire réussir les élèves, donc nous allons nous montrer bienveillants. Il n’y aura pas de 0/20, à condition que l’élève n’ayant pas composé soit reçu par son proviseur et qu’il s’engage à passer les épreuves. Il sera ensuite convoqué à une session de rattrapage.

Des enseignants seront-ils sanctionnés ?

Le droit s’appliquera tout simplement. Un enseignant n’a pas le droit de bloquer un établissement, de troubler un élève qui compose, d’actionner une sirène pour faire descendre les élèves dans la cour en plein examen. Il s’expose dès lors à des sanctions.

Certains élèves se sont plaints de la surcharge de travail due aux E3C, que leur répondez-vous ?

Que la réforme du bac amène à travailler davantage, c’est l’un des buts recherchés par le travail continu. Car mon objectif est le rehaussement du niveau général.

Le comité de suivi de la réforme du bac remettra ses propositions le 11 mars. Quelles évolutions pourraient voir le jour ?

Je reste très ouvert à des évolutions qu’il pourrait me proposer pour simplifier les E3C et trouver un mode de fonctionnement qui correspond à tous. On pourrait imaginer que le calendrier des E3C évolue, que la banque de sujets soit ouverte aux élèves, que les modalités de passation des E3C soient simplifiées (en supprimant les convocations ou la numérotation des tables, par exemple)…

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